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La question est : comment ne pas confondre gestion du temps, rapport personnel au temps, phénomènes temporels dans le temps et temps en soi ?

« J’ai remarqué que même les gens qui affirment que tout est prédestiné et que nous ne pouvons rien y changer regardent avant de traverser la rue. »

Stephen Hawking

Le temps et sa gestion

Dans ce que l’on désigne aujourd’hui par « gestion du temps », nous approuvons généralement l’idée, qu’un mode opératoire singulier d’origine économique, qu’est la gestion, puisse soumettre, ou contraindre, le temps : c’est-à-dire la dimension espace-temps.

Nous l’approuvons plus ou moins inconsciemment, et nous acceptons ainsi les deux termes couplés (gestion et temps) dans le but de trouver des solutions, traiter des problèmes relevant principalement des affaires humaines, des choix de vie, des contraintes et des modes organisationnels.

La gestion est un mode opératoire qui permet une forme de traitement et d’ordonnancement des affaires humaines : c’est-à-dire principalement la production de biens et les échanges commerciaux.

Mais, qu’est-ce que le temps, quant à lui ?

Le temps pris, dans le champ de la gestion, comme une entité gérable, est compris comme une matière sur laquelle nous avons une prise, tout comme un artisan travaillerait le bois ou la pierre.

Ceci est ce que nous croyons : c’est donc « malléable » le temps.

J’en veux pour preuve les nombreuses expressions qui fleurissent dans le langage courant à propos du temps, et qui ont toujours, ou presque toujours, un lien avec la catégorie quantité : « perdre son temps », « gagner du temps », « donner de son temps », « prendre son temps »….

Le temps est donc, au-delà du champ d’application même de la gestion, dans notre imaginaire collectif occidental, apparenté à la quantité et à la mesure.

Cela se matérialise d’ailleurs dans la réalité au travers de nos représentations du temps que sont nos montres, nos agendas et nos ordinateurs.

Le temps et ses représentations

Ces représentations mentales de l’espace-temps proviennent en fait d’assez loin dans l’histoire de l’Homme…

Nous disons par exemple que « le soleil se lève », alors que c’est faux, c’est nous qui avons un mouvement par rapport au soleil, c’est bien nous qui nous levons par rapport au soleil.

Nous parlons bien de représentations du temps et non pas du temps en soi.

L’expression « gestion du temps », contient donc ce que l’on appelle un abus de langage qui nous arrange, et qui coïncide parfaitement avec un modèle économique, un mode d’organisation, des représentations  et des croyances.

C’est important car ce que disent nos représentations et nos croyances sur notre réalité est aussi ce qui fait notre réalité : c’est le côté « prophétie auto-réalisatrice ».

Le langage est un piège, en la matière, mais un piège bienheureux, en même temps qu’une nécessité : un recours en fait qui nous permet de faire face à la complexité des situations et des questions, sans quoi nous serions totalement submergés.

Des scientifiques comme Etienne Klein ont travaillé le sujet tout en aillant l’intelligence et la prudence de ne pas refermer la question du temps.

A l’opposé, les religions ont généralement un point de vue arrêté sur l’espace-temps. La religion judéo-chrétienne, par exemple, borne la question du temps entre un commencement et une fin : c’est-à-dire la Création et l’Apocalypse.

« Donner une définition précise de ce qu’est le temps présuppose que cette définition ne contienne pas en elle l’idée même du temps. »

Etienne Klein

Le temps et son antériorité

C’est-à-dire qu’il ne peut pas y avoir de relation d’antériorité à propos du temps, puisque définir, poursuit Etienne Klein, « c’est rapporter un concept à un concept plus fondamental. »

Or, quoi de plus fondamental que le temps ?

Du point de vue de la science, le temps est quelque chose à partir duquel on ne peut poser la question de son antériorité, ni celle de sa postériorité : il est une permanence, c’est la seule chose qui ne change pas.

Il se passe beaucoup de choses à l’intérieur du temps, des changements s’opèrent, mais le temps en lui-même ne change pas et ne change rien.

Il ne faut donc pas confondre le temps avec les phénomènes temporels à l’intérieur du temps.

Toujours Etienne Klein : « Dire que le temps passe, revient à dire qu’un chemin chemine », le temps ne passe pas, il fait passer les choses, la réalité ; un chemin ne chemine pas, il fait cheminer.

La gestion du temps est quelque chose qui se produit à l’intérieur du temps.

Petit sondage : que se passe-t-il donc d’autre dans le temps ?

La durée, la mesure, la perception, la synchronicité (Jung), l’instantanéité, le « flow », l’intuition, la vitesse, qui est une dérivée par rapport au temps, l’accélération, qui est une dérivée par rapport à la vitesse, des périodes, des cycles, des rythmes…

Le temps et l’Homme

Le temps existe pour l’Homme car l’Homme est une conscience dotée de parole, supportant la verticalité, qui a su nommer le temps : c’est-à-dire habiller l' »informe » en une « forme », qui est cognitivement acceptable et comportementalement transmissible.

Alors que le temps, en lui-même, se passe de l’Homme, cela s’est déjà produit, ce qui n’a pas visiblement empêché le temps d’être le temps ; le temps anthropologique, le temps de l’homme, est donc un temps mineur en regard du temps cosmologique.

Pour l’anthropologue américain Edward Hall, il existe un temps culturel.

Vous connaissez peut-être le mot de Françoise Sagan sur la culture : « La culture est ce qui reste quand on ne sait rien faire. »

Dans « rien », il y a toujours quelque chose, puisqu’il faut qu’il y ait une chose pour qu’il y soit du rien : ce quelque chose est le temps du rien, ou bien du presque-rien, c’est-à-dire le temps des hommes.

On peut n’avoir « rien à faire », on est toujours cependant pris dans le temps du « rien », qui en soit est une occupation à l’intérieur du temps.

On peut donc parfaitement s’ennuyer, tout en étant occupé par le temps.

C’est le problème de l’ennui : ça prend du temps !

Le temps dans le monde

Le terme même de « temps » provient du latin « tempus », du grec ancien « temnein » qui signifie « couper » ; ce qui fait bien référence à la division du temps en une succession de réalités.

Même racine pour « templus », temple, qui renvoie à la division spatiale entre ciel et terre.

Dans la mythologie grecque et dans la philosophie antique, c’est-à-dire aux sources de notre culture européenne, le dieu « Chronos » symbolise le temps qui passe, mais le temps est également représenté par d’autres formes comme « Aiôn », le destin ; « Moira » qui est la loi de partition du destin, le bien et le mal qui revient à chacun ; puis « Kairos » (l’instant juste, l’opportunité).

En occident, nous percevons le temps à partir d’une flèche qui comprend les 3 extases du temps : le passé, le présent, le futur.

Ce « temps historique et scientifique occidental » est une forme d’ordonnancement de la réalité fondée sur le principe de causalité : l’effet ne peut précéder la cause, et cela, tant que la machine à remonter le temps de la physique quantique ne vienne nous démontrer le contraire.

Un européen dira ainsi : « Le passé est derrière moi et j’ai tout mon avenir devant moi » ; alors qu’un amérindien du peuple Aymara, voit son passé clairement devant lui (car il le (re)connait); alors que son futur (qu’il ne connait pas encore), qui est donc hors de portée de son champ de vision, sera derrière lui.

Dans le brahmanisme et dans l’indouisme, le temps est perçu de manière cyclique et non linéaire comme en occident.

Dans le bouddhisme, le temps est également cyclique et se « matérialise » au travers des cycles  de la réincarnation.

Ceci explique certainement pourquoi certaines formes d’entrepreneuriat, comme la théorie de l’effectuation, qui est d’origine indienne, reposent sur l’instant présent à saisir (kairos) bien plus que sur la planification linéaire.

Synthèse

Pour nous résumer : nous avons donc dans l’idée occidentale du temps, des représentations et des croyances qui reposent essentiellement sur des principes de division, d’ordre, de mesure et de non réversibilité. Nous avons nos principales sources du temps que sont : « Chronos », c’est-à-dire la durée, « Aiôn » qui comprend « Moira », c’est-à-dire la durée de vie, le destin, le sort de chacun ; et « Kairos », c’est-à-dire l’opportunité, l’instant juste, l’occasion. Ensuite, et ce à partir du XVème siècle, puis par une intensification progressive; de la révolution industrielle, en passant par le taylorisme et le fordisme, jusqu’à la mondialisation et la globalisation des échanges, nous avons une conception gestionnaire du temps qui va s’imposer.  Reposant principalement sur le gain de temps, l’investissement et l’optimisation : le temps est alors perçu comme une matière quantifiable, séquençable et monnayable. Ceci n’a pas, non plus, été sans pertes et fracas pour l’humain et à certains égards pour l’humanité, comme le souligne brillamment un des plus beaux témoignages artistiques, qui de mon point de vue, est et reste, « Les temps modernes », de Charles Chaplin.

Bibliographie

  1. Stephen Hawking, Une brève histoire du temps, Du big bang aux trous noirs, Editions Flammarion, Collection Champs Sciences, Paris, 2008
  2. Collectif, sous la direction d’Etienne Klein et Michel Spiro, Le temps et sa flèche, Editions Flammarion, Collection Champs Sciences, Paris, 1996

Filmographie

  1. Paul Virilio, Penser la vitesse, un documentaire de Stéphane Paoli, Arte Editions, 2008
  2. Jacques Tati, Play Time, 1967

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