Courir un marathon est une question d’engagement envers soi-même et les autres, une épreuve en soi, concerne la motivation et le sens de nos actions.
Pour emprunter quelque peu à la devise du 3ème régiment de parachutistes d’infanterie de marine (3e RPIMa), courir un marathon : c’est une question d’être et durer.
Qu’est-ce que courir un marathon ?
« Être » certainement, car il s’agit de courir, tenir, soutenir de tout son être un rapport à la spatialité et la temporalité dans une épreuve d’une durée variable selon les personnes, mais d’une distance commune à tous : 42,195 kms. « Être », toujours, au cœur d’une dialectique entre espace (la distance à parcourir) et temps (la durée du parcours). « Durer », également, car l’engagement et la motivation du marathonien s’inscrivent dans ce rapport existentiel fait d’espace et de temps.
L’engagement
L’engagement vis à vis d’un marathon est, principalement, un engagement vis-à-vis de soi ; mais, courir un marathon avec d’autres c’est aussi faire corps, faire groupe, toutes générations confondues, toutes catégories socioprofessionnelles mélangées, se donner un rendez-vous, serrez des mains, sourire, être dans la joie et le vivant : en somme, réactualiser du lien social réel.
Courir un marathon, c’est aussi avant tout une épreuve difficile et exigeante. Comme le souligne très justement le coureur, François Boissonnet, dans le film-documentaire de Gérard Poitou-Weber sur le marathon de Paris, réalisé pour Arte (4) :
« Le marathon, c’est une course de 42 kilomètres avec un prologue de 30 kilomètres ».
Il est donc question de s’éprouver et non pas seulement courir après un temps, le temps, ou courir pour rien (comme j’ai pu l’entendre dire parfois…).
L’épreuve
S’éprouver ainsi, c’est-à-dire, se mettre à l’épreuve, prouver aussi certainement, vis-à-vis de soi-même au travers d’un engagement pris et aussi vis à vis des autres. Si courir un marathon peut être entre autres choses utile à quelque chose, c’est peut-être cela, être au clair avec la question suivante : respecterons-nous nos engagements ?
Ou, quand la parole qui annonce l’acte se trouve honorée, en retour, par l’acte accomplie qui crédibilise et renforce réciproquement, parole et acte. Ne vous demandez plus pourquoi les coureurs qui franchissent la ligne d’arrivée d’un marathon sont si fiers d’eux, malgré la fatigue et la souffrance (…).
De quoi se nourrit cette étrange alchimie ? Dans une épreuve comme le marathon qui, indépendamment d’être assez longue en elle-même, est d’autant plus longue dans sa préparation en amont (comptez 3 à 6 mois d’entrainement spécifique régulier), la motivation investie dans un tel projet ne peut que difficilement se contenter d’être superficielle ou transitoire.
Dans un marathon (ou dans des épreuves de distances similaires ou supérieures), nous avons généralement (à partir du trentième kilomètre) toutes les raisons de nous arrêter. L’inconfort arrive aussi vite qu’un gros grain se lève en mer !
Dans l’entrainement et la préparation, c’est à peu près la même chose : un jour vous ne serez pas en forme et vous sentirez fatigué dès le début de l’entrainement (ou même avant), un autre jour, il fera froid, un vent glacial, une autre fois etc. etc.
Et pourtant : « D’épais flocons de neige tombent du ciel laiteux tandis que ma course, elle, se veut une dégringolade vertigineuse vers le sud. Si la route a donné un sens à ma vie, je vais une nouvelle fois m’enfoncer à pleins poumons dans l’existence; avancer pour le simple plaisir d’avancer et d’être en phase avec l’univers qui m’habite et celui qui m’entoure. » (2)
La motivation
Ce n’est pas notre motivation qui doit être fluctuante comme la météo ou l’énergie physique, mais ces éléments qui, par nature, sont changeants, fluctuants. Quoi de plus normal ? Mais, en quoi ces éléments devraient-ils affecter notre motivation ? La motivation, elle, se nourrit de sens, focalisation et détermination. Ce n’est pas sans raisons que les coachs parlent de visualisation, de concentration, de détermination… Oui, c’est un effort, oui cela a un coût, mais c’est un effort qui -normalement- est librement choisi et c’est donc un coût que l’on accepte de payer.
Le professeur de psychologie Edward. L. Deci décrit différents niveaux de motivation en fonction du degré d’autonomie et du rapport que chaque personne a avec sa propre motivation. Ainsi, cette motivation peut être, selon les cas, « autonome » ou « contrôlée » (Les travaux du professeur Deci sont repris dans l’essai des psychologues Bruno Lefebvre et Matthieu Poirot. (1))
L’autonomie implique d’avoir le sentiment de pouvoir choisir, alors que le contrôle suppose le sentiment de devoir faire (« je peux » en opposition à « je dois »). Dans le cas de la « motivation autonome », l’individu sent qu’il a pleinement choisi le projet dans lequel il a investi toute son énergie. Dans la « motivation contrôlée », l’individu agit sous l’influence d’injonctions et de pressions extérieures.
A partir de ces deux pôles de la motivation, Deci décline « six formes de motivations en fonction de leur degré d’autodétermination » :
- l’amotivation (c’est-à-dire l’absence de motivation),
- la motivation à régulation externe (qui fonctionne par le contrôle récompense-punition dans le cadre d’une tâche ou une action imposée depuis l’extérieur,
- la motivation à régulation introjectée (la personne agit pour faire plaisir aux autres, dans un certain confort d’acceptation relative),
- la motivation à régulation identifiée (la tâche ou action est imposée mais la personne est en cohérence avec ses valeurs),
- la motivation à régulation intégrée (la personne effectue quelque chose d’imposé en parfaite harmonie avec le rôle qu’elle a dans la société),
- la motivation interne (l’action est choisie et elle représente un total intérêt pour la personne qui l’exécute et l’éprouve au travers d’une motivation sous-tendue par le plaisir). (1)
Si vous tentez donc de perdre du poids rapidement car l’été approche, alors que vous adorez vous faire plaisir en mangeant des glaces à la vanille ou par ce que votre conjoint(e) vous a dit que ce serait mieux; ou que vous souhaitez courir un marathon alors que ce que vous aimez –par-dessus-tout- est flâner dans votre appartement ou lire un bon livre, on voit bien que ce sera beaucoup plus difficile et coûteux que si c’est vous, et uniquement vous, qui avez librement choisi, en toute conscience ce que vous faîtes de votre vie.
Pourquoi courir un marathon ? Nous respectons, et préservons, toujours plus et mieux nos engagements et notre motivation, lorsque nous choisissons librement le sens de notre vie. A l’inverse, nous subissons toujours plus et d’avantage nos engagements, et notre motivation n’en sera que plus difficile à soutenir et maîtriser sur le long terme, lorsque nous vivons sous le joug du désir des autres ou les injonctions d’un système. Ceci s’éprouvera au banc d’essai d’un marathon, tout comme dans bien d’autres domaines de la vie.
Pour terminer par une question posée dans un autre article : de quelle subjectivité notre motivation serait-elle le substrat ?
Je réponds ici sans ambiguïtés, ni hésitations : la possibilité de choisir en conscience et librement.
Bibliographie et filmographie recommandées
- Stress et risques psychosociaux au travail, Bruno Lefebvre, Matthieu Poirot, Éditions Elsevier Masson, Paris, 2011
- Au cœur des Amériques, De l’Alaska à Ushuaïa 24 000 km en courant, Jamel Balhi, Presse de la Renaissance, Paris, 2003
- La grande course de Flanagan, Tom McNab, Editions Autrement, Collection J’ai Lu, Paris, 2012
- A bout de course, film-documentaire de Gérard Poitou-Weber, Arte – 13 Production – Doriane Films , 2002
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