Dans un précédent article (Bases relationnelles : la confiance, tout ou rien ?), je posais la question de ce qui pouvait caractériser la confiance comme réalité psychologique dynamique.
Je souhaite, aujourd’hui, souligner la dimension profondément subjective et affective présente dans toute expérience de vie d’inclinaison, ou de fermeture, au sentiment de confiance.
Rappelons-nous l’étymologie du mot « confiance » qui nous renvoie à l’idée de foi, « Fides », une des trois vertus théologales (foi, espérance, charité).
Croire : entre savoir absolu et absolu non-savoir.
Faire confiance et avoir confiance, c’est accepter de se situer dans une certaine disposition d’être (au sens phénoménologique du terme) qui n’est ni le savoir exhaustif, ni le non-savoir lénifiant.
Une erreur commune consiste dans le fait de confondre « confiance » avec « assurance », ou mieux encore : avoir une très haute opinion de soi-même.
La confiance vraie n’est pas une affaire d’égo mais bien une disposition à être en relation avec le monde.
En ce sens toujours, la confiance n’est pas un « pouvoir illimité » car les limites posées sont toujours des limites personnelles et subjectives : nous ne pouvons pas avoir confiance en tout et toujours.
Cette disposition d’être, dans laquelle s’établit le sentiment de confiance, est donc irrémédiablement délimitée régionalement et temporellement.
Le « tout-sachant » est, en ce sens aussi, également suspect de confondre exhaustivité et sincérité : je ne peux tout savoir car ce « tout », comme quantité et unité non séparables, dépasse, de loin, ma capacité à l’appréhender dans son entièreté.
J’ai donc besoin de croire, faute de pouvoir tout savoir.
« Celui qui sait tout n’a pas besoin de faire confiance, celui qui ne sait rien ne peut raisonnablement même pas faire confiance. »
Entre ces deux rives (savoir et non-savoir) le sentiment de confiance symbolise un véhicule, le moyen par lequel je me déplace de l’une à l’autre à des degrés divers : une passerelle qui me permet de m’assurer de l’accès et du passage vers la vérité, l’erreur, le doute ou l’incertitude.
Le sentiment de confiance permet donc ainsi de composer avec l’inconfortable et complexe dialectique du savoir et du non-savoir, les jeux d’ombres et de pouvoir, à partir d’une subjectivité qui tente de se maintenir debout, dans une forme d’équilibre, toujours à la merci d’une chute brutale ou d’un excès de zèle.
Histoire de couple : confiance, communication, décision.
Un couple traverse une période difficile et les protagonistes, entre évitement et sincérité, expriment de sérieux doutes quant à la réciprocité des sentiments partagés, sans cependant remettre en cause directement la pérennité du couple.
« Je ne sais plus si tu m’aimes encore », dit l’un, (position de non-savoir relatif, de remise en question, de doute), « mais j’ai confiance en toi, en nous » (le passage, le pont, le lien) « et je crois, je sais, que nous pouvons nous respecter et peut-être nous retrouver prochainement (…) » (position de savoir relatif, de croyance, de projection).
A partir d’un ancrage affectif en provenance du passé mémoriel d’une personne, celle-ci peut se projeter dans un futur qui sera, ou ne sera pas, ou sera autre.
C’est ce que le sociologue Georges Simmel décrit comme « moment autre » difficile à décrire, précisément, car très récalcitrant aux hypothèses. (1)
Dans ce genre de situation, la réciprocité n’est bien souvent pas de mise car les protagonistes expérimentent une désynchronisation affective, fruit d’une décision généralement prise par l’un des deux, en amont, mais non encore exprimée, ni actée, par une séparation ou même un éloignement très marqué.
La personne, potentiellement quittée, va donc croire qu’il est tout à fait possible de revenir à l’état initial, tout en étant affectée dans son sentiment de confiance elle continuera d’y croire. Alors que la personne potentiellement quittant va croire, quant à elle, et donc se fier par une inclination affective, en la possibilité d’un avenir différent qui sera peut-être meilleur ou, pour le moins, autre.
Il n’y a pas de séparation sans risques, tout comme il n’y a pas de relation sans intérêts communs.
Confiance et expérience intérieure (affective).
Qu’est-ce qui, au fond, mobilise le sentiment de confiance et aiguise la capacité à croire ?
« Le fond ce n’est autre chose que la forme qui remonte à la surface. »
Nos affects, c’est-à-dire nos propres états d’âme, sont caractérisés par des changements qui font que l’équilibre maintenu, durant un temps, est soudainement remis en question pour un autre temps.
L’expérience affective est la somme de ces états, et des fréquences de changement attenantes, caractérisant une sorte d’expérience intérieure dont nous sommes à la fois les récepteurs et les instigateurs.
Tendre vers un sentiment de confiance, correspond à une inclinaison interne vers la positivité d’un futur possible et pour le moins souhaitable. Ce futur dépend de nous, mais surtout de ce que nous faisons de ce qui nous concerne et nous affecte en tout premier lieu.
En ce sens, un affect possède toujours au moins deux aspects :
- Positivité : une possibilité d’apprendre et un développement possible.
- Négativité : un jugement péremptoire et une contraction défensive.
C’est ce que le philosophe Spinoza désignait (à propos des affects) comme une augmentation, ou une diminution, de la puissance d’agir : le conatus.
L’« affect » est, par définition, ce qui m’affecte, c’est-à-dire ce qui s’imprime dans mon corps et dans mon esprit dans un même temps.
Pour un autre philosophe comme Martin Heidegger, les affects sont des tonalités, des intonations, auxquelles nous répondons, en provenance du monde environnant et en relation avec notre monde intérieur.
Ils désignent la disposition d’être.
C’est encore Heidegger qui « éloigne » le terme « affect » de son environnement psychologique pour le réintégrer dans une dimension plus existentielle de l’affectivité, non seulement réduite à la séquence : « penser, vouloir, ressentir » (1).
« Les gens qui apprennent à maîtriser leur expérience intérieure deviendront capables de déterminer la qualité de leur vie et de s’approcher aussi près que possible de ce qu’on appelle être heureux ».
Croyances, dogmatisme et impuissance apprise.
Nos croyances peuvent être nos alliés aussi bien que nos pires ennemis, quand elles ne deviennent pas les ennemis des autres et de tous.
La croyance poussée à son extrême se matérialise dans le dogmatisme, ou le radicalisme, qui sont des formes de déviance rigide, ou mortifère, de l’expérience intérieure.
A ce stade, la chose « vraie » des uns n’est plus discutable par les autres et s’impose à eux comme la seule vision possible du monde et de la réalité.
Les croyances peuvent ainsi donner un prétexte à l’action, y compris déviante ou malveillante, tout comme elles peuvent inhiber l’action.
Ne plus avoir confiance en soi, c’est aussi avoir intégré une forme d’impuissance apprise par conditionnement culturel ou social.
L’impuissance apprise est un concept proposé par le psychologue Martin Seligman qui nous renseigne sur le degré d’incapacité d’une personne à se sortir d’une situation désavantageuse et sa propension à accepter, finalement, la fatalité.
La croyance, de fond, porte sur le fait qu’il soit inutile de tenter quoi que ce soit afin de changer quelque chose dans sa vie.
En ce sens, le sentiment de fatalité est un terrain prometteur pour le développement de l’impuissance apprise et du conditionnement opérant.
« Si ton destin est de guérir de cette maladie, tu guériras que tu aies appelé ou non le médecin ; de même, si ton destin est de n’en pas guérir, tu ne guériras pas que tu aies appelé ou non le médecin ; or ton destin est l’un ou l’autre ; il ne convient donc pas d’appeler le médecin. »
Dans le langage courant, des expressions comme « C’est la vie », « On n’y peut rien », « C’est comme ça », « Je n’ai pas de chance », doivent toujours être entendues comme une forme d’avertissement car, mêmes inconscientes ou en apparence innocentes, ces injonctions font référence à une chaîne causale d’évènements supposée immuable que l’on nomme « destin ».
Véritable point de vigilance, pour soi-même, car nous pouvons également retirer des bénéfices indirects dans cette relation au destin ou bien encore, dans un registre voisin, à la pensée magique ou divine.
« Cet état psychologique, joint à une perte de confiance en soi est, dans la plus grande majorité des cas, une situation difficile à vivre résultant d’un apprentissage social « dans lequel le sujet fait l’expérience de son absence de maîtrise sur les évènements survenant dans son environnement ». (Article Wikipédia, Impuissance apprise.)
L’impuissance apprise, vécu sur un temps long, peut conditionner effectivement une personne, à un tel point, que celle-ci va créer des croyances complémentaires afin de consolider son sentiment d’impossibilité à être aux commandes de sa propre vie.
L’impact social est alors conséquent et le sentiment de confiance en soi se réduit à peau de chagrin.
Nous l’avons donc vu la confiance est une idée qui vient de très loin dans l’histoire humaine. Elle a été associée à des notions philosophiques et religieuses (vertu, foi, vérité, choix), et se trouve toujours au cœur des relations humaines.
Je vous proposerais dans un prochain article d’envisager la question de la confiance sous l’angle de l’apprentissage : peut-on apprendre à faire confiance, et donc la développer, ou bien est-ce une capacité innée propre de l’être humain ?
(1) Les moments de la confiance, Connaissance, affects et engagements. Collectif, sous la direction de Albert Ogien et Louis Quéré, Editions Economica, Collection Etudes sociologiques, Paris, 2006.